La mention Roman sur la couverture du
livre de Markunda peut induire en erreur le lecteur. En effet il ne
s’agit pas d’une fiction, mais plutôt d’une autobiographie. «Si on te
nie la mort t’oubliera» est le prolongement du ‘‘petit cahier bleu’’ de
son enfance. Une sorte de journal intime «remplis d’écriture serrée
d’adolescente», où elle consignait ses souvenirs, en plus des récits que
lui contait sa mère et sa tante Chouchana.
Dans les premières pages du roman,
Markunda évoque un vieux souvenir. Les paroles prémonitoires de
Tagazent, la voyante du village : «Au fond de toi tu rêve d’être
bergère, insolente et fière de posséder ton troupeau, heureuse comme
Iabdas, bergère amazigh libre au teint frais, à la joue rose …. Pourtant
du va quitter un jour l’Adrar, tu partiras des blessures au cœur ...Tu
auras des honneurs, ta voix sera entendue. Quand tu t’envoleras n’oublie
pas que tu a des racines». L’oracle s’accomplisse, et ‘’la bergère
amazigh’’ quitta le pays des six montagnes, sa Belezma natale : «J’ai
quitté un amour, j’ai quitté la terre et ma mère. Mon cœur portera trois
blessures».
La première blessure : celle de l’amour
Elle l’appelle Ortaïas dans le livre, du
nom d’un roi berbère. Parti en URSS pour devenir pilote, il lui offrit
un bijou en argent à la veille de sont départ ; une amulette dont l’étui
est ciselé d’argent et orné de cabochons sertis de corail. Il l’a pria
de garder le bijou et lui jura fidélité. Passe les années, Ortaïas ne
donna pas signe de vie. Laissant ‘’Summira’’ (comme il l’appelait) se
morfondre de douleur et de chagrin. Cette blessure sera déterminante
dans la décision qu’elle a prise en novembre 1971 de quitter de
l’Algérie.
Quelques années après, alors qu’elle a
fondé une famille, elle saura qu’Ortaïas ne l’a pas oublié. Les lettres
enflammées qui lui envoyait, ont été censurées par la direction de
l’internat où elle était. Un jour après un concert, alors qu’elle
changeait sa tenue de scène, l’amulette d’Ortaïas qu’elle portait en
pendentif (et qu’elle croyait vide) tomba par terre, l’étui céda
laissant voir quelque chose à l’intérieur. Hésitante, elle ouvrit l’étui
; une photo d’Ortaïas et un papier plié, elle lit :
«Je reviendrai Summira
Je compterai les lunes jusqu’à mon retour
Je t’attendrai comme la terre altérée attend la pluieJe t’attendrai comme le voyage égaré la nuit attend le jour
Ortaïas».
Deuxième blessure : celle de la mère
Sur la première feuille (du cahier
bleu), il y avait un titre : «Histoire de Yemma». Markunda Aurès ayant
perdu son père lorsqu’elle avait huit mois, sa mère fut le personnage
central de sa vie, le cordant ombilical qui la reliait à sa terre, à
l’Histoire de son peuple. Markunda a vécu son départ en France comme un
déchirement.
Lorsque sa mère s’est éteinte, Markunda
Aurès a ressenti le besoin d’écrire « Si on te nie la mort t’oubliera »
en puisant dans le petit cahier bleu qu’elle avait emporté avec elle
lorsqu’elle s’est installée en France.
La troisième blessure : l’histoire la Terre
Du départ de sa mère du petit village de
Markunda (d’où vient sont pseudo) jusqu’à leur installation à Merouana
et l’éclatement de la guerre de l’indépendance, le destin de la famille
de Markunda fut intimement lié à celui de l’Algérie : «La guerre éclate
en plein milieu de mon enfance confisquant mon «printemps». Les «bérets
rouges» prennent d’assaut nos maison dans le col du Telmet, les
plus-beau-cèdre-inconnu du monde, brûlent au napalm, arbre millénaire
témoin de notre passé … Ce jour-là dans mon cœur d’enfant blessé naquit
quelque chose que je ne sus nommer : l’amour de la terre».
Cette terre ; Markunda fera tout pour
s’en approcher, se racheter de son départ. Elle trouvera dans le chant
un moyen d’opérer son ‘’retour’’ : «Le chant va me devancer là bas au
‘’pays des six montagnes’’ annoncer et préparer mon retour, quand la
nouvelle courra de caillou en caillou, de déchera en déchera, quand la
voix annoncera dans les massifs, dans les gorges de Tarchiouine, dans la
vallée de Tinibaouine, je n’éprouverai aucun triomphe de ce coup
d’éclat, je gagnerai juste à redevenir moi».
Au début années 1980, Markunda Aurès
entra d’un pas hésitant dans cet univers dont elle avait aucun
expérience : «C’était en 1986 à la sortie de mon premier enregistrement,
je faisais mon premier ‘’tour de chant’’ … à l’Olympia ! Brusquement
projetée à la lumière, en ’’vedette américaine’’ …».
"Si on te nie, la mort t’oubliera"
Si la musique de Markunda a été reconnue
dès que départ en France, en Algérie on continue à «nier» cette grande
artiste. Ses chansons sont censurée jusqu’à aujourd’hui dans les médias
algériens. Au festival de Timgad, on lui préfère les déhanchements
lascifs de quelques chanteuses libanaise payées rubis sur l’ongle.
"Un jour je me plaignais auprès de ma
tante Chouchana écrit markunda, qu’on ne voulait pas jouer avec moi
quand je parlais en chaoui". Cette dernière répondit : «Si on te nie la
mort t’oubliera ! Ne t’inquiète pas, ce que les hommes cherchent à
ignorer et à occulter continue à exister …». Impressionnée par cette
référence à la mort, la fillette n’avait pas compris. Sa tante ajouta
sentencieuse : «L’hostilité envers nous les Chaouis nous a donné le goût
pour le combat et de la survie, si on te nie, tu te battras et tu
perdureras …Voilà l’explication !».
Jugurtha Hanachi .Paru au Le Matin DZ 28/05/2014